CANNIBALES est la première création de Angels’ Front, un groupe de performance fondé par l’artiste et metteuse en scène Flora Bouteille. CANNIBALES est conçu comme un dispositif de jeu en constante évolution, façonné par les représentations et les interactions avec les publics. Le projet explore la dynamique de prédation cannibale dans la société capitaliste, le rôle des caméras, et la redéfinition du sujet contemporain. Cette performance explore aussi des questions éthiques liées à la participation du public et intègre les outils techniques (caméras, smartphones, micros) au coeur d’un dialogue entre l’audience et les performeurs.
Performances, sculptures, vidéos et écritures vous permettent de manipuler les codes esthétiques et sociaux de l’art ; comment placez-vous les enjeux de perceptions et de sensations au coeur de vos créations ?
Ces enjeux sont essentiels dans mes créations, ils permettent d’avoir une relation intellectuelle et physique avec l’audience. Nous commençons chaque performance par un temps de « conditionnement » qui nous permet de créer un état corporel liminal en focalisant l’audience sur ses sensations physiques et sa vision intérieure. Perception et sensation fonctionnent comme des boucles avec le public ; nous nous influençons, nous sentons, nous ajustons. La position du public dans l’espace est essentielle à notre dramaturgie, grâce à cela nous pouvons priver l’audience de certains sens (la vue, l’ouïe) pour des parties du groupe ou pour le groupe entier. Cela nous permet de jouer sur la psychologie et les rapports de groupe pour développer l’aspect interactif de l’expérience.
Vous interrogez l’usage que fait l’artiste de l’espace public et politique, diriez-vous que vos performances évoluent en fonction des interactions avec le public ?
Les performances que je crée avec ma compagnie sont des dispositifs de jeux qui évoluent en fonction des interactions avec les publics. Nous ajustons en fonction de ce que propose le public, qui est pour le temps du jeu une micro-société à l’intérieur de laquelle ils sont amenés à faire des choix d’ordre moral. Comme dans un système algorithmique arborescent, les décisions sont prises par le public à chaque étape et définissent le déroulé. Je modifie aussi les performances en fonction de l’actualité, celle-ci influence le paysage psychologique et relationnel du moment et du lieu où nous sommes amenés à jouer, et va fortement jouer sur ce que sera ou fera le public. C’est une manière de prendre la température d’une époque.
Vous explorez le lien entre l’homme et la machine. L’intelligence artificielle ou d’autres avancées technologiques peuvent-elles bouleverser à terme le processus de création ?
Toute technologie ou technique modifie l’expérience du monde en y ajoutant de nouvelles dimensions. Aucune technologie n’est en soi morale ou amorale ; cependant nous sommes critiques sur la privatisation dans le domaine des nouvelles technologies et leurs effets sur les consommateurs. Je ne crois pas que l’intelligence artificielle bouleversera le processus de création, mais qu’elle y ajoutera de nouvelles dimensions d’artificialité et que sa relation à l’idéologie capitaliste peut renforcer les problématiques de classe dans le domaine artistique et créatif. Pour moi l’intelligence artificielle n’est pas une intelligence, c’est une puissance de calcul basée sur la collecte et l’analyse de données à partir d’algorithmes conçus par des humains et forcément biaisés. Un effet que nous avons constaté lors de nos séances de travail et avec lequel nous travaillons, est l’idée que le temps s’est extrêmement ralenti plutôt que d’avoir accéléré comme l’idéologie dominante tend à le définir.Les algorithmes ne pouvant que répéter de l’existant et renforcer des tendances ou des biais, ceux-ci collectent et reproduisent des images, des idées ou des sons, ce qui crée un présent fait de boucles reproductives où chacun est bloqué dans une bulle correspondant à la vision du monde qu’il désire.