Entretien Lucinda Childs et Robert Wilson
© Lucie Jansch

Saison 2023|24

Entretien Lucinda Childs et Robert Wilson par Vincent Théval

Dans le cadre de la présentation de la pièce Relative Calm

Dans le cadre de la présentation de la pièce Relative Calm

• Quel est le lien entre votre pièce Relative Calm de 1981 et cette nouvelle production ?  

Lucinda Childs : Le titre peut porter à confusion car il fait référence à une ancienne collaboration entre Robert Wilson et moi. Quarante ans plus tard, il nous a servi de point de départ pour une production tout à fait nouvelle, dont le cœur est la célèbre suite Pulcinella, que Stravinsky a composée en 1920 pour les Ballets Russes. De la performance de 1981, ne subsistent qu’une section de la musique de Jon Gibson et ma chorégraphie, ainsi que le titre. Pour les interprètes, cette partie demeure donc inchangée musicalement, mais Bob a souhaité revoir tout le reste : lumières, décors, costumes. C’était passionnant pour moi et très différent de la première production. Tout est désormais rythmé par la musique et la chorégraphie.
Robert Wilson : Cette fois, j’ai écouté la musique, réalisé des dessins et regardé le travail de Lucinda. C’est une véritable collaboration, où tout s’est construit en même temps. Pour moi, tout théâtre est danse. Et tous les éléments font corps.

• Pourquoi avoir choisi de garder le titre de 1981 ?

R.W : L’idée est venue de Lucinda et elle m’a immédiatement plu. Je trouve que c’est un titre qui lui ressemble, très ironique. Au moment des répétitions, il reflétait parfaitement ce calme relatif qui régnait durant la pandémie.
L.C : Vous savez, c’était “relativement calme”, pas vraiment habituel. C’est une expression utilisée par les journalistes en temps de guerre, quand il y a un moment de flottement, une pause, et qu’ils ne savent pas quoi dire. Ils disent : “ce n’est pas une accalmie mais un calme relatif” parce qu’ils n’ont aucune idée du moment où il pourrait se passer à nouveau quelque chose. C’est une façon de rassurer un peu les gens. J’ai trouvé l’expression fascinante parce que très ambiguë. Et elle l’est d’autant plus aujourd’hui, où nous n’avons aucune idée de ce qui va se passer d’un jour à l’autre, d’une heure à l’autre. Tout est très fragile.

• Si la musique de John Adams semble en cohérence avec Rise de Jon Gibson, le choix de la suite Pulcinella de Stravinsky peut sembler plus surprenant. Qu’est-ce qui a guidé cette sélection ?

L.C :
La décision de travailler sur la musique de John Adams revient à Michele Pogliani, le directeur de MP3 Dance Project, qui est un ancien danseur de ma compagnie à New York. Le premier projet que j’ai confié à sa compagnie était Available Light – part 2 (de John Adams) et ils l’ont si bien interprétée, j’ai été si impressionnée, que je leur ai également proposé d’inscrire Rise au programme. Mais comme ces deux pièces durent chacune vingt minutes, on m’a suggéré d'ajouter Pulcinella. C’était un défi incroyable et une idée très intéressante pour moi de réunir ces compositeurs. Ce n’est donc pas la première fois que je travaille sur la musique de Stravinsky mais cette fois-ci, j’étais particulièrement excitée par les nouveaux décors, costumes et lumières imaginés par Bob. 
R.W : La pièce de Stravinsky fonctionne comme un miroir aux compositions contemporaines de Jon Gibson et John Adams, qui sont à peu près de la même génération que Lucinda et moi. Elle est très différente et occupe une place centrale dans Relative Calm : elle est un tournant à la fois musicalement et théâtralement. Les pièces de Gibson et Adams l’entourent et visuellement, dans mon esprit, elles en sont des contrepoints. Mon travail est toujours symétrique.

• Quelle est votre méthode de travail ?

R.W : Souvent, je m’occupe d’abord de l’image, puis j’ajoute du texte ou de la musique. En ce sens, c’est similaire à la façon dont John Cage et Merce Cunningham travaillaient. Ils préparaient et répétaient séparément avant de tout assembler. Mais dans mon travail, le hasard est le point de départ et non le principe : c’est au final une construction consciente de ce que j’entends et de ce que je vois, deux aspects qui ont la même importance. Et c’est la lumière qui définit tout espace. Je commence toujours, toujours, par la lumière.
L.C : J’ai rencontré Robert Wilson à un moment où je travaillais surtout de façon collective et collaborative, en étudiant les idées de John Cage, en apprenant à faire de l’abstraction un concept moderne, en travaillant également avec la méthodologie du hasard. Pour moi, Robert a représenté un changement colossal. Einstein on the Beach était conçu pour être présenté dans l’espace traditionnel d’un théâtre, alors que j’avais pris pour habitude de me produire dans tous les espaces alternatifs possibles et imaginables mais pas sur des véritables scènes. Ce qui est si passionnant dans cette collaboration avec Bob Wilson, c’est que sa sensibilité contemporaine s’y déploie pleinement et qu’elle n’est en rien amoindrie par le contexte architectural du théâtre, qui est un espace très conventionnel. Après toutes ces années de collaboration, c’est toujours un plaisir de travailler avec lui parce que nous parlons la même langue et, pour le citer, nous n’avons en réalité pas besoin de nous parler tant que ça : nous nous comprenons parfaitement et saisissons parfaitement la forme artistique.

• Comment avez-vous travaillé l’association des différents éléments de la pièce ?

R.W : Relative Calm est composée de trois parties. Mon travail porte sur la structure et a donc une dimension architecturale. L’important, c’est l’agencement et la relation entre les différentes parties. Relative Calm est faite de musique et de danse mais aussi de tout le vocabulaire du théâtre, maquillage, lumière, costumes. Je ne commence pas avec ce que j’entends, le texte ou la musique, mais avec ce que je vois, la lumière. Ce que je vois, c’est une sorte de masque pour la scène. Et derrière ce masque - après, donc - j’entends la musique ou les mots. En ce sens, ma méthode est assez traditionnelle et classique, on la retrouve dans l’histoire du théâtre. Que je monte Hamlet ou King Lear de Shakespeare, Einstein on the Beach, l’opéra sur lequel nous avons collaboré en 1976, ou Relative Calm, les décisions basiques sont : qu’est-ce que je vois en premier ? En deuxième ? En troisième ? Qu’est-ce que j’entends en premier ? En deuxième ? En troisième ? Ce sont des décisions prises dans le temps et l’espace.

• Comment avez-vous travaillé avec Michele Pogliani sur la chorégraphie ?

L.C : Je trouve passionnant de travailler avec de jeunes danseuses et danseurs, comme j’ai pu le faire ces dernières années. À La Villette, nous proposons cette année non seulement Relative Calm, avec la jeune compagnie MP3 Dance Project, mais aussi Lucinda Childs x 100, avec une centaine d’élèves du Conservatoire. Je sens que cette relation à la jeune génération est importante. Et j’aime venir leur présenter le travail en personne, physiquement, et pas simplement par vidéo. C’est comme ça que nous avons procédé avec Michele Pogliani : je me suis installée à Rome pour être en mesure de travailler directement avec les danseurs et danseuses, même pendant la pandémie. Cela fait une grande différence qu’ils aient eu cette expérience d’apprendre et d’interpréter l’œuvre en ma présence, avec moi. Le travail de Michele a été un merveilleux cadeau pour aider à réactiver mes chorégraphies, ce qui n’était pas une mince affaire. Dans ce travail, je dois également créditer Ty Boomershine, un autre ancien danseur de ma compagnie new-yorkaise, qui nous a aidés.

• D’où viennent le texte et les images qui composent les “knee plays” de Relative Calm ?

L.C : L’image d’un œil que Bob a utilisée vient d’un dessin de Nijinski, à une époque où il n’était plus en capacité de travailler pour les Ballets Russes de Diaghilev. Il était hospitalisé et faisait ce genre de dessins car il avait l’impression que les gens l’observaient sans arrêt et cela le dérangeait. Les textes viennent de son journal et datent de la période où Pulcinella se crée, sans lui.


Propos recueillis par Vincent Théval, octobre 2023

Découvrir aussi

Lucinda Childs et Robert Wilson<br>

Lucinda Childs et Robert Wilson
Relative Calm

à découvrir

Interview d'Inès Geoffroy

Saison 2023|24

Interview d'Inès Geoffroy

Commissaire de 100% L'EXPO

Repenser l'enfance - 100%...

Saison 2023|24

Repenser l'enfance - 100%...

|Performances et table ronde

Invitation aux Ateliers...

Saison 2023|24

Invitation aux Ateliers...

|Rencontres et performances

Invitation au collectif...

Saison 2023|24

Invitation au collectif...

|Soirée clubbing avec Sina XX, EVK et Peridurale

Invitation au festival Jerk...

Saison 2023|24

Invitation au festival Jerk...

|Programme de performance avec des artistes de l'exposition et du...

3 questions à Antoinette...

Saison 2023|24

3 questions à Antoinette...

dans le cadre de Plateau hip-hop

3 questions à Frédéric...

Saison 2023|24

3 questions à Frédéric...

pour Olympicorama le Final

3 questions à la comédienne...

Saison 2023|24

3 questions à la comédienne...

dans le cadre du spectacle Mon bel animal

Entretien de Milo Rau par...

Saison 2023|24

Entretien de Milo Rau par...

3 questions au musicien...

Saison 2023|24

3 questions au musicien...

Dans le cadre de L-E-V | SHARON EYAL GAI BEHAR - Into the Hairy

3 questions au Collectif...

Saison 2023|24

3 questions au Collectif...

dans le cadre du spectacle Le social brû(il)le

3 questions à Flora Bouteille

Saison 2023|24

3 questions à Flora Bouteille

dans le cadre de la performance Cannibales 

Les écoles

Saison 2023|24

Les écoles

100% L'EXPO

Performances et rencontres

Saison 2023|24

Performances et rencontres

MAGIC WIP #7 • Résidences

Saison 2023|24

MAGIC WIP #7 • Résidences

Laura Bachman en résidence...

Saison 2023|24

Laura Bachman en résidence...

|Initiatives d'Artistes

Le corps de la femme,...

Saison 2023|24

Le corps de la femme,...

Entretien avec Florentina Holzinger

Entretien de Laura Bachman...

Saison 2023|24

Entretien de Laura Bachman...

Dans le cadre de la présentation de la pièce Ne me...

FAQ Dalí - L'art dans la...

Saison 2023|24

FAQ Dalí - L'art dans la...

La foire aux questions autour de l'événement

Entretien de Gwenaël Morin...

Saison 2023|24

Entretien de Gwenaël Morin...

dans le cadre du Songe d’après Le Songe d’une nuit...

newsletter

la newsletter La Villette

abonnez-vous !

En fournissant votre adresse e-mail, vous acceptez de recevoir la newsletter de La Villette. Vous pourrez vous désabonner à n'importe quel moment en cliquant sur les liens de désabonnement situés en bas de nos e-mails ou sur simple demande à C.EPPGHV@villette.com. Pour en savoir plus, consultez notre politique de confidentialité.