L'artiste danseuse et performeuse Cherish Menzo était en résidence à La Villette en avril 2022 avec son partenaire Camilo Mejia Cortés pour son duo Darkmatter, qui parle de post-humanisme.
Pouvez-vous nous parler d’un de vos chocs artistiques ?
Cherish Menzo : Crowd de Gisèle Vienne est un récent coup de cœur. J’ai vu la performance en 2017. Tout se passe au ralenti, et les dynamiques au sein du groupe sont révélées de cette manière. Les différents personnages apparaissent en tant qu’individus, et dans le même temps, font partie d’un ensemble plus vaste et tourbillonnant. Lavagem d’Alice Ripoll/Cie REC est une autre performance hypnotique pour moi. J’ai vu ce spectacle au Festival de la Cité (Lausanne) dans un gymnase. Le public était assis si proche des artistes que tout semblait soudain très tactile. La pièce s’intéresse aux groupes d’individus contraints d’effectuer certaines tâches dans nos sociétés. La manière dont ils transforment ce sujet, à travers l’acte de laver, de frotter, en une riche imagerie qui évoque simultanément la beauté et la saleté, l’humour et la critique, est tout à fait stupéfiante.
Camilo Mejía Cortés : Je pense à quelque chose qui a littéralement créé un sentiment de choc en moi, Le Parfum, histoire d’un meurtrier, un film de 2006 de Tom Tykwer que j’ai trouvé vraiment puissant. J’ai particulièrement apprécié la scène finale, et la manière dont elle est construite. Le contraste du personnage qui crée des parfums pour connecter les gens les uns aux autres et les rendre amoureux en tuant d’autres gens. C’est cette cruauté, cette beauté, cette sensualité, le tout simultanément.
Si vous deviez citer un artiste qui vous a particulièrement inspiré, qui serait-ce, et pourquoi ?
Cherish Menzo : J’ai une grande admiration pour l’artiste de rap et producteur américain JPEGMAFIA. C’est un touche-à-tout, qui joue la musique lui-même en live, tout en étant un rappeur et un performeur incroyable. Il importe également ce son unique punk-underground dans la scène rap, ce qui m’inspire beaucoup (c’est quelque chose que Death Grips fait également). En tant qu’auditrice et artiste créative qui travaille beaucoup avec la musique, JPEGMAFIA est une source constante d’inspiration.
Camilo Mejía Cortés : Concha Buika, une chanteuse et musicienne afro-espagnole, a eu beaucoup d’influence sur moi, en tant qu’artiste noir grandissant en Espagne (originaire de Colombie). C’est une de ces artistes qui fait de la musique avec un fort sentiment instinctif. Elle met tout son être dans son travail. Lorsque vous l’entendez chanter, c’est une véritable expérience. Elle voyage entre plusieurs styles musicaux, dont le flamenco, qu’elle a écouté en grandissant dans un quartier gitan de Majorque. Je suis très amoureux moi-même du flamenco. Les mouvements qui accompagnent les rythmes du flamenco n’arrêtent pas de me fasciner. Les bulerías par exemple, un des palos ou styles de flamenco, m’émeuvent par leur dynamisme et leur passion. Une part de mon admiration pour elle vient probablement du fait que son parcours ressemble au mien, celui d’un migrant qui a grandi en tant qu’artiste noir et queer en Espagne, issu d’un milieu modeste.
Pouvez-vous nous parler d’un lieu, d’un endroit où vous avez vécu une expérience créatrice particulière ?
Cherish Menzo : Je suis partie en tournée dans la région d’Oppland (Norvège) avec un spectacle de Benjamin Kahn. Cette série de dates faisait partie du programme Cultural Rucksack et s’adressait à un public d’étudiants (des écoles de musique aux lycées). La performance permet cette flexibilité, avec un plateau qui peut être installé assez vite. Certaines conventions théâtrales ont été mises de côté, et un véritable dialogue s’est installé avec des étudiants qui ne vont pas facilement au théâtre ou ne sont pas en contact avec ce type de créations spécifiques. C’était incroyablement enrichissant pour moi. Je suis quelqu’un qui veut savoir qui est dans le public, et quels types d’échanges se produisent lorsque je partage mon travail.
Camilo Mejía Cortés : Je suis né en Colombie, arrivé en Espagne quand j’avais quinze ans, et j’y suis resté jusqu’à mes 26 ans. Ma carrière professionnelle de performeur a commencé lorsque j’ai quitté l’Espagne. Par conséquent, la première fois que j’y suis retourné sur une scène professionnelle a été un événement important, un moment fort de ma vie.
Dans la culture pop (émission radio, télé, BD, livres…), quelle est votre madeleine de Proust ?
Cherish Menzo : Incontestablement, la Playstation et les jeux vidéos en général. J’avais un faible pour Tekken et Final Fantasy. J’ai beaucoup joué à ces jeux entre l’âge de dix ans et le début de mes études de danse. J’y suis retournée plus souvent ces derniers temps et j’ai commencé à écouter régulièrement les bandes originales de Tekken, réalisant maintenant combien elles sont incroyablement bien faites. J'aime ce genre d'esthétique lo-fi, que j'intègre parfois dans mon art, ce qui découle probablement de ma période de jeu.
Camilo Mejía Cortés : Le R&B et le hip hop des années 1990 et 2000. Le reggaeton aussi, qui était important pour moi à l’époque. Je remarque que j'utilise toujours les mêmes paramètres comme filtre. Lorsque je découvre un artiste contemporain que j'aime, c'est souvent parce que je peux entendre dans sa musique des échos de ces genres qui me sont chers.