« On est plus grand qu’on ne se pense. C’est pour ça qu’il faut travailler nos imaginaires, parce que c’est en voulant tenter des choses qu’on se rend compte qu’on peut les faire. » Rachid Ouramdane - La Villette
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© Gregory Batardon
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ENTRETIEN AVEC RACHID OURAMDANE

Propos recueillis par Raphaëlle Tchamitchian pour La Villette, mai 2024.


Dans cet entretien, le chorégraphe Rachid Ouramdane, partage sa vision de la fusion entre danse et sport en mettant en scène les interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève et des funambules. Il évoque la quête d’élévation, l’importance du collectif, et la transformation de la vulnérabilité en force. Inspiré par le compositeur Julius Eastman, il souligne comment ses créations célèbrent l’harmonie et la solidarité. Un aperçu inspirant de son approche artistique et de son engagement pour un collectif respectueux et inclusif.

Dans la lignée de vos précédentes créations, vous réunissez sur scène des danseurs et des sportifs, en l’occurrence des funambules. Comment avez-vous pensé leurs relations ?

Chacun a des spécificités et un savoir-faire que j’exploite dans mon écriture chorégraphique, mais, ce qui les relie tous, c’est une quête d’élévation, une quête pour échapper à la gravité, pour se rejoindre dans les airs. Souvent, on a un potentiel, mais on ne se rend pas compte de la façon dont on peut l’exploiter. J’ai invité des acrobates à intervenir pendant les répétitions, et une partie du travail a consisté à montrer aux danseurs comment ils pouvaient bouger autrement, comment ils pouvaient réaliser des choses dont ils ne s’imaginaient pas capables. On a travaillé des envols, des projections dans les airs, des réceptions, toutes choses que j’ai découvertes avec le monde acrobatique ces dernières années. Je le dis très régulièrement : on est plus grand qu’on ne se pense. C’est pour ça qu’il faut travailler nos imaginaires, parce que c’est en voulant tenter des choses qu’on se rend compte qu’on peut les faire. Tant qu’on ne les a pas rêvées, tant qu’on ne s’est pas projeté dedans, on n’y va pas.

Avec vingt-cinq personnes au plateau, vous continuez également à creuser le motif de la foule.

La seule façon de réaliser ces chorégraphies aériennes, c’est par le collectif. Pour pouvoir voler dans les airs, il faut des gens pour vous projeter et d’autres pour vous rattraper. Cette capacité à se soutenir, à se porter, à être là les uns pour les autres… ce sont souvent des choses que je vais chercher. Cela se travaille techniquement, mais même s’il est vrai que j’ai un goût pour la virtuosité, j’ai toujours un regard sur le sensible et l’attention des uns envers les autres. Il y a souvent des chorégraphies de regards qui viennent prolonger le geste. Je règle aussi le toucher ; il faut que les spectateurs sentent la délicatesse dans laquelle sont les corps quand ils s’appuient les uns sur les autres. Ces artistes de l’aérien ont une dimension hors norme, mais j’essaye aussi de donner à voir leur fragilité. À quel point c’est la pleine conscience de leur sensibilité qui fait que tout cela est possible.

N’y a-t-il pas une certaine prise de risque dans cette quête d’élévation ?

Ils sont souvent à un endroit limite, voire parfois un endroit risqué, mais de façon toujours rationalisée, jamais inconsidérée ou dangereuse. Le risque mesuré, le point de rupture, nous renvoie à la vulnérabilité des personnes. C’est ça qui m’intéresse en tant que chorégraphe, comment ce qui est considéré comme fragile ou faible peut être renversé, et devenir une force. Il s’agit d’aller à un endroit inconnu, de découvrir quelque chose qu’on ne connaissait pas de soi-même. Par la force du collectif, on peut arriver à des formes de dépassement, se révéler à soi-même. Je crois que les spectacles nous font ressentir que ces personnes sont arrivées à déplacer leurs limites, et on savoure cette bouffée d’humanité, de foule en mouvement, toujours là pour rendre les choses possibles et aller de l’avant.

La musique est de Julius Eastman, issu du courant minimaliste américain, qui a beaucoup marqué l’histoire de la danse. Qu’est-ce qui vous a intéressé chez ce compositeur ?

Je m’intéresse depuis des années à des sujets de société et à des personnes qui doivent se défendre pour vivre leur différence, et Julius Eastman était un artiste activiste et militant pour les droits de la communauté LGBTQI+ et des personnes noires aux États-Unis. Sur le plan musical, ses Œuvres pour quatre pianos (jouées en direct par des jeunes musiciens de la Haute école de musique de Genève au moment de la création, et en musique enregistrée par Stéphane Ginsburgh, pour les représentations à La Villette) accompagnent assez formidablement les motifs chorégraphiques autour de la notion du collectif. Le dialogue des instruments ressemble à une sorte de course folle de personnes qui se passent le relais musicalement, se soutiennent, se rejoignent. Plusieurs motifs s’enchevêtrent, se répètent, évoluent ; et les déphasages de l’écriture tout d’un coup redeviennent en phase, ce qui fait que le dissonant aboutit finalement à une harmonie parfaite. Il y a quelque chose de parallèle entre cette musique et la manière dont j’écris pour la scène, qui est très inspirée de ces nuées d’étourneaux que je cite souvent, ces murmurations qui, quand on les regarde, semblent improvisées, anarchiques, et qui sont en même temps profondément harmonieuses. Il y a une sorte d’écoute dans ces mouvements d’oiseaux où il n’y a aucun heurt ; cela provoque une forme de contemplation, de sérénité. Derrière cette image se dessine la capacité à être ensemble, à faire collectif.

« Il y a toujours en creux l’urgence de croire en un collectif fondé sur le respect, l’accueil à ceux qui nous sont différents. »

Pourquoi faites-vous de la danse ?

Parfois je me demande pourquoi la danse m’a pris. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il n’y avait rien de prémédité. Elle a évolué avec le temps, mais voici ma réponse aujourd’hui. D’abord la danse est partout, sur les réseaux sociaux, dans la publicité, la mode, l’industrie musicale avec les clips, le monde du soin (en tant qu’outil de reconstruction), l’éducation, le loisir, le bien-être… Au moment de la crise sanitaire, beaucoup de personnes se sont remises à faire du sport et à avoir des pratiques artistiques liées au mouvement. La danse est aussi présente dans nos moments joyeux de vie comme les fêtes. Elle amène à se sentir libre au travers d’expériences physiques, à découvrir des choses de soi par le corps. Je crois sincèrement que les artistes et les sportifs avec lesquels je travaille sont des gens qui font avancer l’humanité, dans le sens où ils nous montrent qu’il y a encore des choses à explorer de nous-mêmes. Ils nous disent : mais si, on peut faire ça, on peut marcher dans les airs, on peut être ensemble de cette façon-là. Ensuite, il y a toujours en creux l’urgence de croire en un collectif fondé sur le respect, l’accueil de ceux qui nous sont différents, l’ouverture à la complexité qui est en chacun de nous, et qui tente d’aller vers le plus de liberté possible. C’est comme ça que je pense l’art en général, et que je pilote Chaillot-Théâtre national de la danse. La danse, notamment la danse pour les grands ensembles, me permet d’explorer ces utopies-là.

Biographie de Rachid Ouramdane

Rachid Ouramdane naît à Nîmes en 1971. Il découvre la danse grâce au hip-hop, courant en plein essor dans les années 80-90 et porteur d’émancipation physique et politique. Il suit également des cours intensifs de danse classique et moderne. Il abandonne ses études en biologie pour intégrer le Centre national de danse contemporaine d’Angers. Interprète et chorégraphe, il multiplie les collaborations avec Meg Stuart, Odile Duboc, Hervé Robbe, Alain Buffard, Christian Rizzo, Julie Nioche ou encore Emmanuelle Huynh.

Les créations de Rachid Ouramdane sont souvent marquées du sceau du témoignage et de l’expérience intime à partir desquels il tisse une chorégraphie structurée.

Portant un projet ambitieux tourné autour de la diversité et de l’hospitalité, il est président-directeur de Chaillot – Théâtre national de la Danse depuis avril 2021.

Il a été nommé officier de l’ordre des Arts et Lettres en mai 2022.

À propos du Grand Théâtre de Genève

En 1962, le Grand Théâtre de Genève 

crée une compagnie de ballet permanente composée de 22 artistes internationaux, apportant une grande diversité culturelle. Depuis la saison 2022-2023, sous la direction de Sidi Larbi Cherkaoui, le Ballet adopte un style résolument contemporain, intégrant diverses disciplines artistiques telles que la musique en direct, la parole, les arts visuels et la haute couture.
Le Ballet collabore avec des chorégraphes renommés et se développe autour de trois axes : nouvelles créations à Genève, tournées internationales et partenariats culturels locaux. Un spectacle invité par saison enrichit la programmation.

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