« Pour moi, le cabaret, comme la performance d’ailleurs, représente la liberté. » Luce Gaston - La Villette
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« Pour moi, le cabaret, comme la performance d’ailleurs, représente la liberté. » Luce Gaston

Dans le cadre de son spectacle « Du Love. », plongez dans l’univers drôle et grinçant de Luce Gaston.


Dans une époque où l’amour semble plus complexe que jamais, Luce Gaston s’attaque au sujet avec une audace qui ne laissent personne indifférent. Dans son seul-en-scène intitulé Du Love, l’artiste plonge au cœur des paradoxes contemporains du désir, mêlant humour mordant et réflexion philosophique. De l’impact des applications de rencontre sur nos relations modernes à la politisation de l’amour à travers les siècles, découvrez les coulisses d’un spectacle qui dissèque l’amour sous toutes ses coutures, révélant les contradictions et les défis auxquels nous faisons face dans notre quête d’intimité.

Du Love. est un seul en scène sur le thème du sexe et de l’amour. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à ces sujets ?

À une période où je manquais d’amour, j’ai fait comme tout le monde, je me suis inscrite sur des applications de rencontre, j’ai rencontré plein de gens, et j’ai réalisé qu’en fait, on manquait tous d’amour. Que c’était quelque chose qui nous régissait tous, qu’on veuille se l’avouer ou non. Alors je me suis demandée si le fait d’être célibataire était vraiment, comme on peut parfois le penser, de notre faute. Le développement personnel, a.k.a. la religion suprême du néo-libéralisme, nous fait croire que c’est à nous de trouver la solution, à nous de voir le monde autrement, à nous d’avoir un autre prisme pour comprendre les autres et nous-mêmes. On nous dit : « Tu es responsable de ton bonheur ». Sauf que, même après avoir consulté un psy, deux sophrologues, quatre magnétiseurs et trois voyantes, on est toujours célibataire. Évidemment, il y a toujours eu des célibataires, surtout à Paris, mais il me semble que la façon dont on perçoit l’amour dans notre société est aussi responsable du fait qu’il y en ait autant, aujourd’hui.

L’une des caractéristiques de notre époque est la place prépondérante des applications de rencontre. Quel rôle jouent-elles dans nos solitudes modernes ?

Les applications de rencontre conduisent à réifier l’autre. À cause du prisme d’Internet, on se permet de faire des choses qu’on n’oserait jamais faire dans la vie, on devient autre chose que ce qu’on est réellement. Toute personne qui s’inscrit sur ces applications est susceptible d’être ghostée et finit à un moment ou un autre par ghoster[1] à son tour. C’est très dommageable dans notre rapport à autrui. On en arrive à considérer l’autre comme un objet. Et puis, les applications donnent l’impression que le monde est à portée de clic. Si on veut, on peut rencontrer 50 personnes en une semaine. On devient très exigeant, on zappe très facilement. On pardonne moins les erreurs et les défauts des autres, car il y a tellement d’options qu’on se dit qu’il y a peut-être mieux en rayon. C’est terrible, parce qu’on utilise le vocabulaire du marketing : « Il y a mieux en rayon », « Je suis sur le marché du love », « Déjà utilisé mais encore bon usage ». Et, malgré cette infinité de rencontres possibles, des études ont prouvé que de toute l’histoire de l’humanité, notre époque est celle qui fait le moins l’amour.


[1]. C’est-à-dire ne plus donner de nouvelles du jour au lendemain.

« J’ai reproduit cette idée de mélange des arts dans le spectacle, qui est à la fois un podcast, un seul en scène, une conférence, du stand up, une fausse pub, un concert… »

Le sexe et l’amour sont des sujets hautement politiques. Comment vous êtes-vous emparée de cette dimension ?

Le spectacle prend entre autres la forme d’une conférence historique et philosophique sur le sexe et l’amour en Occident, depuis le Big Bang jusqu’à aujourd’hui. On passe en revue, siècle par siècle, ce qui était permis et ce qui ne l’était pas, chez les hétérosexuels comme chez les personnes LGBTQIA+. Par exemple, chez les Grecs et les Romains, le mariage est juste un contrat entre un homme et une femme ; il n’y a pas de lien amoureux a priori, et le rôle de l’épouse est uniquement reproducteur. Au xixᵉ siècle, dans les internats, on enfermait les sexes des adolescents dans des coffrets pour éviter la masturbation. Ce n’est qu’au xxᵉ siècle que l’on met fin au mariage de convenance, et qu’on gagne le droit de s’embrasser en public. Après des siècles de restrictions et d’interdits (encore en vigueur dans beaucoup de pays !), la libéralisation des mœurs a été très rapide. Avec cette fresque historique, le spectacle est forcément politique, mais il est surtout humaniste. Je voulais proposer quelque chose qui puisse être accueilli par toutes les générations : les adolescents à partir du lycée, les vingtenaires, les trentenaires et les adultes qui ont connu le monde d’avant les téléphones portables. Je m’adresse à tout le monde. Je performe sur ce qu’est un date aujourd’hui, et la violence qui en découle parfois, pour mieux la comprendre. L’amour et son histoire s’inscrivent dans notre inconscient collectif, et nos comportements sont la résultante de millénaires de façons de faire. Finalement, la question centrale est : une fois qu’on sait tout ça, qu’est-ce qu’on fait ? Comment est-ce qu’on continue ? Comment prendre soin de l’amour et de nous-mêmes sans être dans une démarche égocentrique ? Mon espoir le plus grand est que Du Love. soit un spectacle dont on sortirait avec l’envie viscérale d’aimer.

Le spectacle s’est en partie construit sur la scène du cabaret La Barbichette au Moulin Rouge, où vous avez imaginé et « testé » vos performances. Comment cet héritage du cabaret se manifeste-t-il ?

Pour moi, le cabaret, comme la performance d’ailleurs, représente la liberté. À La Barbichette, on a carte blanche ; on est très libre esthétiquement et politiquement. De manière générale, le cabaret, c’est une suite de libertés : une chanson succède à de l’effeuillage, qui succède à un sketch, qui succède à de la danse… et tout ça par des artistes différents. J’ai reproduit cette idée de mélange des arts dans le spectacle, qui est à la fois un podcast, un seul en scène, une conférence, du stand up, une fausse pub, un concert… Par ailleurs, je fais du doublage et des voix pour la radio depuis des années ; la mise en scène est pensée sur le modèle de l’auditeur qui allume sa radio, cherche des fréquences, et attrape des bribes de phrases et de musique jusqu’à temps qu’il trouve quelque chose qui l’intéresse. Pour les représentations à La Villette, je suis aussi accompagnée par Julie Gasnier et Katel, deux chanteuses, musiciennes et compositrices qui ont écrit une musique électro primordiale pour le spectacle, et qui fonctionnent comme un chœur de tragédie grecque. Bref, énormément de formes et d’éléments différents s’entrechoquent à un rythme effréné, tout en étant reliés par une thématique unique, l’amour.

Propos recueillis par Raphaëlle Tchamitchian pour La Villette, juillet 2024

Biographie de Luce Gaston

Après une maîtrise de philosophie et des cours de théâtre, Luce Gaston enchaîne pendant plus de quinze ans les tournages et les pièces de théâtre à la fois classiques et contemporaines. Adepte des grands écarts artistiques, elle tourne pour Robin Campillo dans 120 battements par minute ou collabore avec le chorégraphe Daniel Larrieu. De l’écriture au doublage publicitaire, en passant par des représentations insolites au Cabaret Le Secret à Paris, les performances et inspirations de Luce Gaston sont aussi diversifiées que décalées, enclines à ouvrir de nombreuses réflexions.

Artiste et figure de la scène française, Katel explore dans sa musique de nouvelles formes esthétiques aussi audacieuses qu’accessibles. D’un premier album rock et acoustique à la production labyrinthique dans tous les styles contemporains, elle n’est jamais là où on l’attend, tout en offrant une oeuvre d’une grande cohérence.

Par ses chansons singulières et pleines de vitalité, Julie Gasnier est depuis des années une voix singulière et troublante de la pop. Artiste pluridisciplinaire (théâtre, musique, danse, arts plastiques) à la présence magnétique et ancienne membre des groupes Lala Factory et SuperBravo, elle se tourne de plus en plus vers des projets solos. Le minimalisme, dans sa musique comme dans son travail plastique, est le point d’appui d’interrogations profondes, sans cesse en mouvement.

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